5 décembre 2006

Quand on sera vieux, on s’ra encore con.

Pour le plaisir : beaucoup des Vieux d’la Vieille, un peu d’un Singe en hiver.


_ Dam bon sang, t’y vois plus qu’dalle l’Emile !
_ Ah, c’est pas les yeux qui sont mauvais bon Dieu, c’est les bras qui sont trop courts…
_ Alors mes vieux gars, ça va t’y ?
_ Ah, vl’à l’Eugène. Bah où qu’t’étais sacré innocent ! On n’a point attendu tes ordres : on a déjà tiré une fusée éclairante et dégoupillé deux ou trois grenades, dans l’doute.
_ Eh ben mes cadets, m’faut toujours l’temps d’réussir mon évasion quotidienne.
_ Crénom d’vain Dieu ! T’entends ça l’Emile ? Des escarmouches et personne ne nous a avertis ? Mais que foutent les transmissions ? Ils bayent aux corneilles et ont pris racine ? M’en vais les traîner d’vant un tribunal militaire ! Allez hop, hop, hop : aux arrêts, des bandeaux et des culasses : faut déboiser !
_ Pour sûr l’Edmond ! Qu’est-ce t’attends donc, l’Emile, pour la répudier ta bonne femme ? Tu vas pas attendre la grande séquestration du sapin, à l’eau et au pain sec bon Dieu d’cent mille bon Dieu !
_ La répudier ?
_ Ben oui l’Eugène ! A l’orientale bon Dieu d’bon Dieu ! Pour cause qu’è t’pèse trop sur l’paletot et qu’t’en as chopé une scoliose carabinée.
_ Eh ben mes vieux gars, c’est pas l’envie qui m’manque mais la crainte. C’est une véritable vandale. Tenez regardez donc mes bras.
_ Oh mais te v’là encore battu comme plâtre mon pauvre Eugène ! T’as plus qu’à siffler une hirondelle et à porter plainte pour coups et blessures. Un jury populaire digne de ce nom dira coupable et sans circonstances atténuantes et l’juge s’tortillera pas cent ans sur les ressorts de son fauteuil pour prononcer « potence ». C’est une question d’bon sens et pas d’justice mon Eugène ! Un exemple pour la République !
_ C’est ben vrai tiens !
_ Sacrée diable d’bourrique ! Bon Dieu d’bon Dieu ! Mais avec quoi qu’tu t’es donc embarqué pour traverser la vie mon pauvre Eugène !
_ Pour sûr ! L’jour où tu l’as arrangée ta furie, l’aurait mieux valu qu’tu t’fasses emporter une guibole par un obus d’37, c’est moi qui te l’dis !
_ Allons mes vieux gars. Parlons point d’mon malheur. Surtout : j’ai tout soif !
_ Bien parlé l’Eugène ! TAVERNIER : à notre aide tavernier ! L’enseigne Eugène Mahé, héros d’la déroute de Dunkerque pour avoir sauver un calva de calibre douze, soit pour services rendus à la Patrie ; i vient d’échapper à la mort alors on veut un litre et une gourde d’ta gnôle là qui macère dans son sucre depuis nos soixante ! Et dépêche toi mécréant ! On ne tolèrera aucune espèce de retard sur le champ de bataille. T’y avises pas ou on ira tout droit déposer plainte contre toi à la Croix Rouge. Boire c’est une question d’humanité et mon ami là, l’est dans l’besoin, la misère la plus délétère.
_ Du calme Edmond, on est point sourd par ici.
_ Ah mes vieux amis ! Des hommes comme vous, ça on n’en fait plus ! Là où que j’classe les jeunes, y’a plus guère derrière qu’le chacal et la méduse !
_ Décrépie l’humanité, bon Dieu t’as raison l’Eugène !
_ Tenez les vieux. Mais pas d’foin.
_ AAAAAHHH ! Mais c’est qu’on a failli attendre l’aubergiste ! Si tu faisais ton service aussi vite qu’on t’emmerde, c’est sûr : on s’rait servi avant l’horaire.
_ Bon Diou : vous avez encore bu sans soif vous autres. J’y vous avertis : tenez vous à carreau ou j’vous y vire de mon établissement à grand coup d’pompe dans l’train.
_ Bon Dieu d’bon Dieu ! Parle pas d’train l’ami devant un retraité d’la SNCF ! Jamais un r’tard en quarante ans d’carrière !
_ Ah non mon bon Emile ! T’y oublies la fois où qu’t’avais bu plus que d’raison et qu’t’y t’étais r’trouvé les quatre fers en l’air sur le chemin de d’vant la maison à la mère Yvonne ! Heureusement, j’arrivais en deuxième vague et j’t’ai évacué du no man’s land sur le dos pour t’emmener illico chez l’rebouteux ! Tu me dois d’pas traîner derrière toi une pension d’invalidité pour patte folle !
_ Bon Dieu d’bon Dieu ! Sacrée charogne ! J’étais en proie à un brouillard de tous les Diables et j’ai trébuché à cause du gravier mal intentionnellement déposé là par la communisterie municipale !
_ Vous étiez saouls comme un cochon Emile !
_ Crénom d’une pipe mes cadets ! J’étais vaillant comme un sou neuf ! J’y suis tombé dans un traquenard, c’est tout et toute la vérité ! J’m’en vais pas m’laisser insulter par le tenancier d’une maison de malandrins et un arsouille bête comme un patatrin.
_ Oui ! Moi Eugène, j’ai rien vu mais je l’jure !
_ Dis moi un peu : qui qu’c’est qu’tu qualifies d’la vilaine sorte, cheminot ?
_ Toi l’Edmond !
_ Bon diou ! Qu’est ce qu’c’est qu’c’est qu’ce pataquès ? Une trahison ! D’où qu’i t’vient tout ce foutu courage qui t’anime tout d’un coup et t’fait perdre raison.
_ Du fond d’ton cul !
_ Ahaha ! Tu manques point d’souffle toi ! Eh ben mes conscrits ! Te v’là parjure doublé de grossier personnage ! Ecoute moi bien l’Emile : les fonctionnaires de ton acabit, i s’en foutent de tout, en dehors euh d’bouffer les budgets.
_ Allons, allons, les vieux gars. C’est comme cette fois où qu’on s’est égaré dans les bois : ça peut bien arriver.
_ Bon dieu d’cent mille bon dieu d’nom de dieu d’bon dieu d’cent mille nom de dieu d’bon dieu ! Tu vas r’tirer ton insulte sur nous autres les fonctionnaires l’Edmond ou j’m’en vais t’faire rôtir comme une andouillette.
_ Cause toujours l’Emile. T’y t’rappelles donc pas comment qu’t’étais tout imbibé ? T’y voyais des loups derrière les arbres. J’t’y avais r’trouvé et rapatrié d’urgence en m’guidant à l’étoile polaire de derrière mes yeux de lynx.
_ Bon dieu d’bon Dieu ! Sacrée vieille machine ! J’m’en vais t’envoyer au cimetière en client !
_ A LA GARDE ! Les barbouzes sont dans la place, la cinquième colonne est dans l’fruit ! A mes ordres ! En tirailleurs !
_ Vous allez t’y pas arrêter d’faire des problèmes ?
_ J’y vois t’y juste ? Gardes ! Sur notre flan droit ! L’ennemi tente la tenaille ! Que tout fantassin valide aille faire le liant dans nos défenses !
_ Allez hop-la ! Dehors. Claudic, viens m’aider à les foutre à la porte.
_ Sortons l’drapeau blanc mes vieux gars : j’ai à peine eu le temps d’me réchauffer les boyaux !
_ Bon Dieu ! Pas de reddition ! Et pas de désertion ! Plutôt crever mais debout ! Nous voilà piégé par le surnombre et au fond d’une cuvette de chiottes à turc qui plus est !
_ Allez hop là déhors !
_ Enseigne Eugène ! Mettez les munitions au sec.
_ Bien mon capitaine. Allez l’Emile paye donc !
_ Allez foutez-moi l’camp bande de vieux sacs à vin !
_ Vain dieu d’bon Dieu d’bonne sœur qu’t’es l’Duchesnais. Bas les pattes et haut les mains ! Nous nous retirons. Mais dans la dignité ! Et on n’y remettra pas les pieds dans ton établissement de culs bénis.
_ C’est ça bon vent !
_ Bon vin !
_ Vous regretterez vos vilaines paroles : vous voirez ! C’est moi Emile Paré qui vous l’dit !
_ Du CALME ! On s’retire comme des princes. Nous battons en retraite. Une retraite stratégique. La victoire à la guerre est parfois une question de repli dans la bataille : v’nez donc brûler Moscou pour vous réchauffer… Mais, continuez à nous molester l’ami et nous enverrons l’Eugène en éclaireur pour s’enquérir de l’arbitrage d’la marée chaussée. Il est l’seul à avoir la sympathie collabo.
_ Quoi ?! Entendé-je clair ? R’tire ça tout de suite mon vieux gars !
_ Silence enseigne : on nous assaille. Voulez-vous finir fusiller à un poteau ou mourir comme un homme les yeux dans les yeux d’la baïonnette de l’ennemi ? Nous aurons tout l’temps de nous conter querelle et de diligenter enquête quand nous serons à couvert, en sécurité !
_ Bien ! Vieille carne va !
_ Allez pas d’histoire, oust !
_ Pas d’histoire ? Bien, nous acceptons les termes du cessez l’feu. Mais ça n’est en aucune façon un armistice ! On nous f’ra pas l’coup du traité d’Versailles dans ce bled de Triffouilli les Oies ! Bien : laissez nous simplement le temps de ramasser nos blessés.
_ Prenez vos deux chopines mais foutez l’camp !
_ Bien. On n’vous salut pas Messieurs : on vous méprise.
_ Bon dieu ! T’as ben raison l’Edmond ! Vous y finirez rouillé comme des vieux cons dans votre eau bénite.
_ Salut la compagnie bon Dieu d’bon Dieu !
_ Retraite, retraite les gars !
_ La retraite… La retraite… Vivement la retraite, qu’on n’y ait plus à les supporter les retraités.

1 commentaire:

  1. Putain tu as dû te faire chier à retaper tout ça !
    Enfin merci quand même !

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