21 mai 2006

Manage-ment


Si l’on en croit la définition du Petit Robert, management est un mot anglais désignant l’ensemble des connaissances concernant l’organisation et la gestion d’une entreprise. Ce mot magique devenu le graal de toute école de commerce est apparu en 1921, c’est à dire aux heures de gloire du taylorisme et du fordisme. Il s’agit de voir, en s’appuyant sur les réflexions de Luc Boltanski et Eve Chiapello mais aussi sur celles de Jean-Pierre Le Goff, en quoi l’idéologie du management s’est érigée en véritable religion de l’irréel fondée sur une novlangue technicienne.



Des faux pamphlets des Baverez ou Jacques Marseille au discours "caoutchouc" de Ségolène et Nico, en passant par les saillies de Laurence Parisot, tous ont un seul discours à la bouche : celui de la modernisation.

La modernisation c’est la tarte à la crème de nos économies globalisées, quoiqu’elle fasse la France aura toujours un train de retard car cette dernière est toujours en proie à de nombreux "archaïsmes".

Ce discours ne fait que s’inspirer en réalité, de l’idéologie informe véhiculée par le management. "L’idéologie" du management puise d’une part ses fondements dans la psychologie industrielle de l’école de Chicago dans les années 30 (notamment les travaux de Mayo) chargée d’optimiser les rendements du travail à la chaîne dans les usines de voitures. Mais également d’autre part, dans l’école behaviouriste de Watson qui tend à faire de l’être humain une somme de comportements élementaires répondant à divers stimuli, à la manière du chien de Pavlov.

C’est ainsi que le personnel est devenu "la ressource humaine" à former, moderniser et évaluer sur des critères et outils d’une scientificité extrême conduisant à une déshumanisation partielle des travailleurs :

"A travers ces outils, l’expérience humaine et professionnelle est réduite à un stocks de données, l’intelligence à un mécanisme de traitement de l’information, le savoir-faire à un processus d’acquisition d’informations et de procédures que les spécialistes vont s’empresser de formaliser." (J-P Le Goff la Démocratie post-totalitaire)

Pour parachever ce processus de déhumanisation et donc de modernisation, les milieux du management se sont appuyés sur une véritable logomachie qui a pris à son compte, le langage des générations 68 (selon l’expression de l’historien Eric Vigne) par un glissement au début des années 80, le capitalisme a su incorporer ce que Boltanski et Chiappello appellent "la critique artiste" des soixantehuitards.

C’est ainsi qu’au milieu des années 80 commença à fleurir des entreprises appellant à plus "d’autonomie" et de "responsabilité", "de créativité" ou "d’esprit d’initiative". On invite aussi les travailleurs à "s’autoévaluer" à l’aide d’une "boîte à outils", à aller de l’avant, à être "motivé et mobile", à ne pas entrer dans "une zone de confort" vestige du conservatisme des temps anciens.

Cette nouvelle langue de bois, ne s’est pas seulement cantonné aux entreprises, elle s’est insinué dans le vide même de nos institutions. Outre les salariés souffrant de pathologies psychologiques en grand nombre (voir le film "Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés"), les chômeurs sont sommés d’avoir "un projet professionnel" et sont soumis à une batterie de tests de personnalité et autres "tests in basket" en complément d’approches plus ésotériques comme l’astrologie ou la graphologie (une abomination comme l’ont prouvé les travaux de Madame Brechon-Schweitzer) voire le "coaching" afin de trouver le bon profil. Sans compter qu’il n’y a pas un domaine dans la politique qui n’a pas besoin d’une "réforme" ou d’un "chantier", l’école est bien sûr particulièrement touchée par cette novlangue :

"Dès l’école maternelle, on évalue ces compétences. On demande aux élèves de plus en plus jeunes de s’autoévaluer de passer des contrats d’objectifs" (J-P Le Goff la Démocratie post-totalitaire)

Cette prétendue adaptation de l’école au "monde moderne", est une calamité ; tant du point de vue des élèves (l’inégalité n’a jamais été aussi flagrante) que celui des maîtres, avec les terribles IUFM créés dans les années 90 sur le modèle américain, véritable vigie de la pédagogie et appellant de ses voeux à former des "citoyens", à insuffler plus de "créativité" et plus "d’autonomie" pour nos chères têtes blondes.


Ce langage dépourvu de tout humanité continue de faire des ravages et illustre l’incapacité de notre monde à produire du réel. Cette logomachie, comprise que par quelques élus techniciens continue à commmander au destin de milliers d’hommes et de femmes et contribue à leur renvoyer, par son discours fondé sur l’incertitude, une image chaotique et fragmentée du monde :

"Le discours de la modernisation construit lui aussi un monde fictif, décrivant une socièté en état permanent d’évaluation et de mobilisation, composée également d’individus autonomes et responsables, motivés toujours à l’optimum de leur performance. (...) Sa logomachie, son jargon faussement savant et technicien, ses multiples outils managériaux et pédagogiques insultent eux aussi le sens commun et recouvrent les réalités d’un voile de notions confuses qui éévitent tout questionnement."(J-P Le Goff la Démocratie post-totalitaire)

Ce discours technicien a pour corollaire de nombreux colloques du style "Les Echos" dans lequel les décideurs du CAC 40 ou des têtes pensantes du MEDEF (Denis Kessler) se prennent à réhabiliter "les humanités" ((l'Histoire, la socio, les lettres) afin de "s'affranchir des modes managériales" et "prendre du champ pour les prises de décision", après avoir massacré l'école avec la spécialisation, voilà qu'ils réhabilitent "la culture générale" qui fait que les individus seraient "en veille permanente" .
A lire

Le Goff (J-P.), Les illusions du management, La découverte, 1999.
- La Barbarie douce, La découverte, 1999.
- La démocratie post totalitaire, La découverte, 2003.

Boltanski (L.) Chiapello (E.), Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.




1 commentaire:

  1. En effet et je ne parle même pas des différents tests psychotechniques (SOSIE...)

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